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Poussière de toile
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19 juillet 2006

Fleurs blanches à Paris

J’ai rencontré A. ce matin. Ca faisait bien 3 ans qu’on ne s’était pas vues.

Nous avions été dans la même classe et dans le même foyer durant un an. Ca en fait des souvenirs...

Et pourtant, c’est toujours le même qui refait surface quand je la revois ou que je repense à elle, le même qui est venu me percuter de plein fouet lorsque je l’ai reconnue.

lys

Depuis deux jours, mes camarades de classe et moi cherchions un phare pour nous guider, un fil d’Ariane pour nous aider à sortir du brouillard épais dans lequel on s’enfonçait en dépit du soutien de l'équipe pédagogique au grand complet.

Et puis un mot d’ordre est passé :

Que des fleurs blanches, chacun en apportera une pour jeudi midi.

Enfin la bouée était lancée. Une mission, une quête, nous était confiée.

A. et moi avons décidé de sécher les cours imbibés d’eau du jeudi matin afin d'acheter ses fleurs blanches.
Il nous semblait qu'elles ne seraient pas bien difficiles à trouver...

Il faisait particulièrement froid ce matin-là.
Nous avons parcouru l'avenue Gay Lussac, alternant côtés paire et impaire au gré des fleuristes que nous apercevions.

Là, pas de fleurs blanches. Là, pas de fleurs à l'unité. Là, pas le blanc indiqué sur l'étiquette (le daltonisme touche aussi les fleuristes).

Nous avons commencé à emprunter les rues adjacentes. Peu de boutiques. Rien. Toujours rien.
Rien d'autres que nous dans ces rues trop fréquentées, rien d'autre que notre silence à opposer aux bruits indifférents.

Au début de notre quête, nous n'étions pas pressées. Simplement tristes et songeuses, mais pleines d'espoir et de détermination.
Cette marche silencieuse nous faisait du bien dans nos deux solitudes parallèles. C'était la première fois depuis deux jours que nous marchions ainsi seules, sans personne pour nous poser les mêmes questions maladroites ou nous assurer de toute leur sympathie. Son teint semblait avoir repris quelques couleurs, je retrouvais une forme de sérénité.

Pourtant l'heure tournait, et de fleurs blanches, point.

Devant les déceptions réitérées, nous avons commencé à avoir peur. Imperceptiblement.
Et si nous ne parvenions pas à accomplir notre mission? C'était impensable, bien sûr.

Nous pouvions toujours revenir en arrière et acheter un bouquet complet de fleurs blanches chez le fleuriste qui nous l'avait proposé. Cependant, un bouquet n'est pas égal à deux fleurs. Nous étions parties chercher chacune une fleur, et nous rabattre sur un bouquet nous paraissait à cet instant la pire des tricheries. Nous aurions pu arriver à midi avec nos deux fleurs, personne n'en aurait jamais rien su... A part nous. Et lui.

Or la mission était claire, une fleur par personne. Et nous nous étions engagées à la respecter. Honneur futile, entêtement imbécile? Quoiqu'il en soit, aucune de nous n'a pu émettre l'idée d'acheter un bouquet. Et plutôt que de faire marche arrière, nous avons préféré avancer. Encore.

Nos pas se sont accélérés tandis que nos coeurs augmentaient la cadence. Mais aucune fleur blanche, nous répondaient invariablement les fleuristes. J'observais avec inquiétude A. retrouver cette pâleur qui ne lui allait pas. Envolée la sérénité. C'était comme si peu à peu tout s'éteignait. Chaque refus poli ou compatissant faisait disparaître une lueur en nous.

Encore aujourd'hui, je me demande s'il nous restait une quelconque flamme lorsque nous avons poussé la petite porte vitrée. Je me souviens de la forte odeur qui se dégageait, une odeur pareille aux autres boutiques de fleurs et qui nous était devenue presque insupportable. Tandis que nous nous frayions un passage au milieu des feuilles et des pétales, vers ce qui semblait être un comptoir, nous entendions une voix faible mais aimable nous souhaiter la bienvenue et nous demander ce que nous cherchions.

Je me rappelle une cliente âgée penchée au-dessus d'un pot d'orchidées, et un vieil homme à lunettes et gilet clair s'approchant de nous avec un sourire bienveillant. Son apparente gentillesse ne voulait évidemment rien dire. Nous avions vu d'autres sourires avant le sien s'effacer aussi rapidement qu'ils étaient venus. Il suffisait de quelques mots, d'une demande apparemment incongrue à laquelle on ne pouvait répondre, pour faire fuir un sourire.

Et pourtant, le sien a tenu bon, malgré un léger vacillement. Il n'a pas eu besoin de nous regarder bien longtemps pour prendre sa décision. Avec douceur, il nous a demandé si nous avions une préférence pour les fleurs. Non... Alors peut-être celles-ci conviendraient, qu'en dites-vous?... Avec application, il a extirpé deux lys blancs du bouquet. Les plus beaux à mes yeux.

Il n'a pas posé d'autres questions. Ce n'était pas utile, il avait deviné l'essentiel. Il nous a chuchoté des mots remplis de bonté et d'humanité, des mots cicatrisants auxquels la cliente âgée a ajouté quelques mots douceur.

Et pour la première fois depuis deux jours, les larmes qui ont coulé sur nos joues n’étaient pas chagrines.

Quelques heures plus tard, nos deux fleurs sont allées rejoindre leurs soeurs sur le linceul blanc pour être incinérées.

Mais les souvenirs, eux, sont moins combustibles et ne s’envolent pas tous en fumée.
Tant mieux?

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Commentaires
P
Je préfère penser que ces gens-là sont comme les étoiles, nombreux en réalité mais (trop) souvent "éclipsés".
X
Une belle histoire. Comme quoi parfois les plus banals des inconnus peuvent nous être très bénéfique pour le coeur... :)<br /> <br /> Les gens qui nous apportent du soutient et de la compréhension sont bien trop rares en ce monde, c'est regrettable, c'est la vie qui est faite ainsi.
P
Je vais valider le "Tant mieux" finalement ;)
N
TANT MIEUX !<br /> Et tanpis, en fait.
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