Douceur du soir
Le soir, je n'avais pas encore totalement digéré cette scène matinale et la vue d'un métro bondé dans lequel il me fallait me glisser a augmenté mon énervement.
Tandis que je me cramponne à la barre centrale en essayant d'éviter de me coller à mes voisins, j'aperçois un couple de vieux assis sur les strapontins juste derrière moi. Ils discutent sans se soucier de nous autres sardines urbaines, et je songe avec agacement (oui, décidément..) que parmi tous les gens robustes assis là, deux auraient pu céder leur place à ce couple.
Un jeune homme (que je ne vois pas au milieu de cette marée humaine) fait alors entendre sa voix, réclamant de quoi manger et nous racontant comment il a perdu sa femme, son travail et son foyer. Tandis qu'il tente de traverser le wagon, mes voisins gromellent tout haut ce que je pense tout bas, à savoir qu'il aurait pu choisir un autre moment pour faire la quête car on n'avait pas besoin de ça avec ce monde... Forcément, maintenant que je suis tranquillement installée devant mon ordi, respirant le bon air pur de la campagne environnante, je me sens un peu honteuse d'avoir eu de pareilles pensées, mais sur le coup, je lui en ai vraiment voulu de s'être mis en tête de traverser un wagon archiplein.
Je pense même avec perfidie que c'est un mauvais calcul de sa part, car aucun des voyageurs debout ne pourra atteindre son sac pour lui donner quelque chose.
Alors qu'il arrive à notre hauteur, le vieil homme assis sur le strapontin près de moi l'attrape par la manche et lui propose en fouillant dans la poche de son pantalon :
"- Si vous voulez, j'ai un bonbon. Car je suis dans la même situation.. Même si ça ne se voit pas forcément."
Je considère plus attentivement le couple. Ils ont un aspect modeste, certes, mais c'est vrai que ça ne se voyait pas forcément... Ils continuent de se parler tout doucement en souriant, leur tête penchée l'une vers l'autre.